Pages vues le mois dernier

jeudi 22 septembre 2011

ONU Israel Palestine

Le Devoir 22 septembre 2011

Palestine, l'entité qui dérange

Mahmoud Abbas tient un pari risqué à l'ONU. Les Américains ont le plus à perdre dans les tractations actuelles.

Claude Lévesque

Des milliers de Palestiniens ont manifesté hier pour que leur État soit reconnu aux Nations unies, comme ici à Naplouse.

Si sa demande d'adhésion à l'Organisation des Nations unies, attendue demain, était rapidement acceptée, la Palestine en deviendrait le 194e membre.

Ce n'est évidemment pas tous les jours qu'on parle d'accueillir un nouvel État dans ce club, mais on n'y avait encore jamais vu autant de manoeuvres pour empêcher un événement auquel, étrangement, tout le monde se dit favorable.

On assiste à l'accélération d'un ballet diplomatique qui a commencé il y a plusieurs mois et qui vise à dissuader le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, de présenter sa demande au Conseil de sécurité. Ou, faute d'y parvenir, à convaincre les membres dudit Conseil de voter contre afin que les États-Unis ne soient pas obligés d'y opposer leur veto comme ils ont promis de le faire. Car ce sont les Américains et leur président qui ont le plus à perdre dans ce brouhaha.

Tout le monde s'est mis de la partie: le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, les États-Unis, l'Union européenne et le «quartette», cette entité regroupant tout ce qui précède plus la Russie, qui, soit dit en passant, approuve la démarche palestinienne.

Presque toute la communauté internationale se dit aujourd'hui favorable à la «solution des deux États», mais Israël et ses alliés affirment qu'il faut encore procéder par voie de négociations bilatérales.

Les pourparlers israélo-palestiniens, entamés il y a près de 20 ans, sont suspendus depuis 12 mois à cause du refus d'Israël de prolonger un gel sur la construction de colonies dans les territoires occupés. Mahmoud Abbas en est venu à la conclusion qu'ils n'ont guère donné de résultats et qu'il faut passer à une autre étape.

Le contexte

On a parlé d'une «tempête parfaite» qui soufflerait en faveur des Palestiniens. En septembre 2010, Barack Obama avait fait pression sur l'allié israélien, dans un discours où il exigeait l'établissement rapide d'un nouvel État dans les frontières d'avant juin 1967, à quelques ajustements près.

Par ailleurs, l'État d'Israël se trouve particulièrement isolé depuis que ses relations avec ses principaux alliés dans la région, la Turquie et l'Égypte, se sont refroidies. Enfin, le «printemps arabe», qui a vu des masses de citoyens la plupart du temps pacifiques renverser des dictatures sans pour autant crier «mort à Israël», a remis au goût du jour l'idée de liberté pour tous.

Le pari risqué de Mahmoud Abbas

L'Autorité palestinienne dispose actuellement d'un statut d'«entité non membre», qui lui permet de participer à titre d'observateur aux travaux de l'ONU et d'y maintenir un «bureau».

La démarche que M. Abbas entreprend demain vise à lui procurer le statut d'État membre à part entière. Pour que sa demande soit acceptée, il faudrait que 9 des 15 membres du Conseil de sécurité y soient favorables et qu'aucun de ses membres permanents n'oppose son veto. Ce ne sera évidemment pas le cas.

M. Abbas a déjà indiqué que, à la suite de cet échec certain, il s'adressera à l'Assemblée générale, qui a le pouvoir non pas de lui accorder ce que le Conseil de sécurité a refusé, mais de rehausser son statut à celui d'«État non membre» ayant une «mission» permanente. Comme le Vatican. Concrètement, un des avantages consisterait en un accès à certaines institutions onusiennes, dont la Cour pénale internationale.

Le recours à l'ONU a remis la cause palestinienne à l'ordre du jour, et ce, sur une scène de choix. «M. Abbas a mis tout son poids dans cette initiative. Il veut mettre fin à ce qu'il considère comme des pseudonégociations et rétablir le rapport de force en sa faveur après avoir simplement réagi aux demandes de la communauté internationale et d'Israël» croit Sami Aoun, professeur de science politique à l'Université de Sherbrooke.

Ce spécialiste signale que les finances de l'Autorité palestinienne se sont améliorées, de même que sa capacité de faire régner l'ordre dans le territoire qu'elle contrôle. En revanche, la bande de Gaza, une partie non négligeable de l'État à naître, lui échappe complètement.

Mahmoud Abbas a reconnu que sa stratégie comporte des risques: lundi, il a admis que d'éventuelles représailles israéliennes ou américaines créeraient «de grandes difficultés».

Les autorités israéliennes ont déjà annoncé leur intention d'adopter des mesures punitives telles que la limitation des déplacements des dirigeants palestiniens hors de Cisjordanie, mais qui pourraient aller jusqu'à l'annexion des colonies implantées dans ce territoire afin d'éviter que leurs habitants aient un jour à comparaître devant la CPI.

À Washington, certains élus ont laissé entendre qu'ils pourraient réduire l'aide versée à l'Autorité palestinienne (450 millions par an). Le Congrès à dominante républicaine est déjà en campagne électorale. Il courtise l'importante communauté juive, traditionnellement acquise au parti démocrate.

«Si l'Autorité palestinienne veut procéder unilatéralement, Israël peut tout aussi bien le faire, explique Harold Waller, professeur de science politique à l'Université McGill. Il pourrait empêcher l'argent de se rendre dans les coffres de l'Autorité palestinienne. C'est sans compter que cette dernière ne pourrait pas se maintenir sans l'appui de l'armée israélienne.»

Le refus d'Israël

«Grâce aux actions des États-Unis qui travaillent étroitement avec nous, je prédis que [la tentative des Palestiniens à l'ONU] échouera», a dit un Benjamin Nétanyahou, apparemment persuadé de sortir gagnant de l'épreuve.

Israël ne veut surtout pas d'une Palestine dessinée en suivant les frontières d'avant juin 1967, qu'il dit «indéfendables».

«La demande palestinienne constitue une répudiation des engagements pris depuis 1993 de résoudre les différends par voie de négociation», estime Harold Waller de l'Université McGill.

L'initiative palestinienne suscite évidemment des débats en Israël, même si la plupart des partis paraissent solidaires de la position gouvernementale.

L'organisation La Paix maintenant a demandé à M. Nétanyahou de déclarer un gel immédiat de la colonisation et de retourner à la table des négociations muni d'une «offre sérieuse». Bradley Burston, chroniqueur au quotidien Ha'aretz, affirme qu'il aurait dû se montrer ouvert à l'initiative de la Palestine au lieu de s'y opposer sans nuance, quitte à jouer de son influence pour que l'ONU adopte des modalités acceptables.

Son collègue Gideon Levy va beaucoup plus loin: «L'excuse d'Israël est devenue de plus en plus vide et la vérité toute nue, de plus en plus apparente, dit-il. Israël ne veut pas d'un accord de paix qui impliquerait la création d'un État palestinien.»

Le sort du monde ne dépend pas des suites que l'ONU donnera à la démarche de l'Autorité palestinienne; ni celui du Proche-Orient, sans doute. Ce dernier a connu d'autres crises, qui ont eu le don d'éclater quand on ne les avait pas annoncées.

Pour les États-Unis, en revanche, un veto appliqué en contradiction des promesses faites il y a tout juste un an risque de causer de graves problèmes d'image dans un monde arabe en pleine mutation.