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lundi 19 septembre 2011

Article du Devoir Étudinats étrangers setembre 2011

À qui profite la chasse aux cerveaux?

Entre le transfert de connaissances et le vol des forces vives, la ligne peut être mince

Lisa-Marie Gervais 3 septembre 2011 Éducation

- Le Devoir

Recruter les meilleurs talents semble une excellente stratégie pour une économie du savoir qui veut croître.

Pour se maintenir dans la course en matière de recherche et d'innovation, le Québec chasse les cerveaux à l'étranger. Mais c'est aussi une façon de faire goûter à de jeunes étudiants d'ailleurs la vie universitaire d'ici, dans de très bons établissements québécois. À qui profite réellement l'échange?

Vinayak Vadlamani est un jeune Indien de 22 ans étudiant à l'University of Petroleum and Energy à New Delhi. C'est aussi ce qu'on pourrait appeler un «cerveau», l'un des plus prometteurs de sa génération. Avec 32 de ses compatriotes, il a été recruté, à l'issue d'un rigoureux processus de sélection, pour participer au programme Globallink, orchestré par Mitacs, une entreprise qui favorise les liens avec d'éminents chercheurs canadiens et internationaux et les industries d'ici.

La version québécoise de ce programme, qui s'étend dans huit provinces canadiennes sur dix, permet à des jeunes de suivre un stage d'été toutes dépenses payées et de goûter à la vie universitaire et la recherche dans un domaine de pointe dans l'une des quatre universités montréalaises. «On est beaucoup sollicités par des universités, surtout aux États-Unis. J'ai posé ma candidature à plusieurs endroits, dont l'Université de Toronto, mais ce qui correspondait le mieux à mes intérêts de recherche [l'ingénierie spatiale et l'aérodynamique] se trouvait à Montréal», dit M. Vadlamani, précisant qu'il est finalement très heureux d'avoir passé l'été ici.

Éric Bosco, qui y est vice-président exécutif au développement des affaires, reconnaît que la concurrence est féroce pour recruter dans divers secteurs de génie comme l'aérospatiale et l'aéronautique. «Il ne faut pas se leurrer, ces jeunes étudiants là sont très en demande. Les États-Unis, l'Angleterre, l'Australie... et même la Nouvelle-Zélande sont des pays qui ont une longueur d'avance sur nous pour aller chercher ce talent-là. Ne serait-ce que par ce qu'ils offrent financièrement», a-t-il souligné. «Nous, on ne va pas chercher un aussi grand volume d'étudiants, mais on va cibler la crème de la crème.»

Les étudiants indiens admissibles au programme doivent effectivement avoir une moyenne d'au moins 8,7 sur 10. On les puise dans des universités ou des instituts indiens de technologie (ITT) aussi prestigieux que le MIT aux États-Unis, par exemple. «Ce qu'on veut, c'est que ces jeunes extrêmement talentueux retournent dans leur pays pour finir leurs études, mais qu'ils reviennent ici faire leur maîtrise ou leur doctorat», explique M. Bosco. «Si on en perdait les deux tiers mais que ne serait-ce que le tiers d'entre eux revenaient, on serait quand même gagnants. Ce sont des gens d'influence qui vont avoir un impact dans le futur.»

Problème d'éthique?

Recruter les meilleurs talents semble une excellente stratégie pour une économie du savoir qui veut croître. Même si, en apparence, l'opération pourrait ressembler à un drainage des cerveaux des pays émergents par les pays industrialisés. «C'est un modèle d'affaires qui se répand. Vient après la question de l'exode des cerveaux et du développement dans les pays d'origine de ces gens-là. Mais c'est extrêmement complexe. On ne peut pas simplement dire qu'on contribue à la fuite des cerveaux, parce que ce n'est pas toujours le cas. La migration et les transferts de fonds et de connaissances peuvent aussi contribuer au développement d'un pays», souligne Joëlle Paquet, professionnelle de recherche au laboratoire d'études sur les politiques publiques et la mondialisation de l'École nationale d'administration publique (ENAP). «Si on vole les forces vives des pays en développement qui en ont énormément besoin, on a une responsabilité morale. Mais on ne peut pas empêcher les individus qui veulent partir de chez eux de le faire», précise Mme Paquet.

L'Union européenne, par exemple, possède une directive relative à l'admission des étudiants étrangers qui encourage la mise en place de mesures d'accompagnement pour favoriser la réinsertion des chercheurs dans leur pays d'origine. Au Québec et au Canada, ça semble être le néant. «On ne se pose pas la question de la responsabilité, alors qu'ailleurs, en Europe et aux États-Unis, on se demande comment minimiser les impacts négatifs d'une telle situation», a noté la chercheuse.

Éric Bosco comprend l'impact qu'un tel programme peut avoir dans le pays d'origine des étudiants qu'on fait venir. «On sent qu'on a une responsabilité. On sait que ce sont des gens exceptionnels et très doués qui vont changer notre planète ou, à tout le moins, qui vont avoir un impact dans la communauté. Mais nous, on voudrait que le tiers s'établissent ici, et si les autres vont s'installer ailleurs dans le monde ou chez eux, on respecte ça», a-t-il dit.

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Regard sur quelques universités

Université de Montréal

3387 étudiants étrangers, soit 11 % de l'effectif total
3 % d'augmentation par rapport à l'année précédente
Principal pays de provenance: France
Programmes qu'ils fréquentent le plus: sciences sociales et santé

UQAM

2500 étudiants étrangers, soit 6 % de l'effectif total
0 % d'augmentation par rapport à l'année précédente
64 % sont au baccalauréat et 36 % aux études supérieures
Principal pays de provenance: France
Programmes qu'ils fréquentent le plus: gestion, administration des affaires, finance

Université McGill

7200 étudiants étrangers, soit 20 % de l'effectif total
17,4 % sont au baccalauréat et 22,9 % aux cycles supérieurs
Principal pays de provenance: États-Unis
Programmes qu'ils fréquentent le plus: sciences sociales et santé

Université Concordia


5176 étudiants étrangers, soit 12 % de l'effectif total
1 % d'augmentation par rapport à l'année précédente
66 % sont au baccalauréat et 34 % aux cycles supérieurs
Programmes qu'ils fréquentent le plus: baccalauréats en commerce et en arts

Université Laval

2554 étudiants étrangers, soit 6 % de l'effectif total
10 % d'augmentation par rapport à l'année précédente
47 % sont au baccalauréat et 53 % aux cycles supérieurs
Principaux pays de provenance: France et Maroc

École Polytechnique

1181 étudiants étrangers
1 % d'augmentation par rapport à l'année précédente
61 % sont au baccalauréat et 39 % aux cycles supérieurs
Principaux pays de provenance: France et Maroc

École de technologie supérieure (ETS)

558 étudiants étrangers, soit 9 % de l'effectif total
11,6 % d'augmentation par rapport à l'année précédente
16 % au baccalauréat, 52 % aux cycles supérieurs et 32 % dans d'autres programmes
Principal pays de provenance: France

Université de Sherbrooke

925 étudiants étrangers, soit 4 % de l'effectif total
5 % d'augmentation par rapport à l'année précédente
Principaux pays de provenance: France et Tunisie
Programme qu'ils fréquentent le plus: maîtrise en administration