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lundi 5 décembre 2011

Conférence sur le climat décembre 2011

Publié le 03 décembre 2011

Le Canada accusé de lâcher l'Afrique à Durban

Charles Côté
La Presse

Seyni Nafo, Malien de 30 ans, est l'un des plus importants diplomates africains à la conférence de Durban sur le climat. Ingénieur financier, il a étudié à Montréal de 2005 à 2008. La prise de position du Canada contre le protocole de Kyoto continue de soulever les critiques dans le monde entier. En particulier dans les pays africains qui subissent durement l'impact des changements climatiques tout en ayant très peu contribué au problème. La Presse a joint M. Nafo à Durban.

Quel est votre rôle à Durban?

Je suis le négociateur en chef pour le groupe Afrique sous la Convention des Nations unies sur les changements climatiques. Je parle au nom des 54 pays de l'Afrique. On a une position qui a été approuvée par tous les chefs d'État ou de gouvernement. Je suis aussi chef de la délégation de mon pays, le Mali.

Comment a été reçue la prise de position du Canada contre le protocole de Kyoto?

R Il y a énormément de déception et de frustration parce qu'historiquement, pour l'Afrique, le Canada est un partenaire stratégique qui nous accompagne dans toutes les décisions de développement. Par exemple, dans mon pays, on a instauré récemment le principe du vérificateur général en prenant le Canada comme modèle. Aujourd'hui, les changements climatiques sont la plus grande menace pour l'Afrique. Leurs effets se font sentir tous les jours, sur l'agriculture, dans l'imprévisibilité du climat. Et sur cet enjeu fondamental, il n'y a qu'un seul instrument juridiquement contraignant: c'est le protocole de Kyoto. De voir que le Canada refuse une deuxième période de Kyoto, c'est presque une gifle pour l'Afrique en ce moment bien précis.

Plusieurs autres pays s'opposent à la prolongation ou au renouvellement du protocole de Kyoto. Est-ce qu'ils ont tous tort?

L'Union européenne a affiché clairement son appui à une deuxième période et annoncé un certain nombre d'éléments et le groupe Afrique est en train de recenser les pays qui veulent aller avec l'Europe. Il y a la Suisse, la Norvège qui le veulent. L'Australie et la Nouvelle-Zélande ne se sont pas encore prononcées. Le protocole de Kyoto n'est pas parfait et il faut le renforcer.

Quelle serait la conséquence si le Canada se retirait du protocole de Kyoto?

Aujourd'hui, se retirer de ce protocole aurait des implications sur le principe même du multilatéralisme au sujet des enjeux globaux. C'est une question de crédibilité pour le Canada. C'est la décision d'un gouvernement démocratiquement élu, mais cette décision est hautement symbolique et le gouvernement devrait y penser, avec tous les amis qu'il a sur la planète.

La Chine aussi refuse d'être soumise à un accord contraignant et c'est désormais le pays qui produit le plus de gaz à effet de serre. N'est-ce pas une cible plus importante pour vos critiques?

En effet, en termes absolus, la Chine est première, mais il faut tout ramener en termes de population. La Chine émet annuellement 5 tonnes par habitant et les États-Unis, 21 tonnes. La Chine est un pays en développement. Il y a encore beaucoup de lutte contre la pauvreté. Mais aujourd'hui, la Chine est le premier investisseur mondial dans les énergies vertes, à plus de 35 milliards par année. Et elle investit énormément dans les énergies renouvelables en Afrique, dans les barrages. On demande aux autres pays de suivre son exemple. C'est ce que la Chine dit au Canada: il faut mener par l'exemple si on veut être un véritable leader.

De quoi a besoin l'Afrique pour contrer l'effet du réchauffement global?

À court terme, il faut compléter le programme Fast Start qui prévoyait 30 milliards pour l'adaptation et l'atténuation entre 2010 et 2012. On appelle au financement d'actions d'adaptation urgentes et prioritaires. À Tombouctou, au Mali, l'accès à l'eau est prioritaire avec l'avancée du désert. Il faut des stations de pompage solaires pour le bétail et l'agriculture. Il faut aussi des semences plus adaptées aux nouvelles conditions. Ensuite, les pays développés se sont engagés à débloquer 100 milliards d'ici à 2020, mais on n'a pas de programme de mise en oeuvre de cette promesse. À plus long terme, le troisième élément est le fonds vert. On a entendu qu'il pourrait être financé par des taxes sur le transport maritime et aérien. Mais on préfère du financement public. Il faut une certaine prévisibilité.