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mardi 13 décembre 2011

Canada, climat, décembre 2011

Ottawa envoie Kyoto aux oubliettes

Les conservateurs admettent n'avoir jamais cru à cet accord sur les changements climatiques

Hélène Buzzetti 13 décembre 2011 Canada

Le ministre fédéral de l’Environnement, Peter Kent, voit Kyoto comme un «obstacle» à une solution sur la question du réchauffement climatique.

Ottawa — La décision ne faisait plus aucun doute, malgré le fait que le gouvernement conservateur laissait durer le suspense. Mais hier soir, dès son retour de la conférence de Durban sur les changements climatiques, le ministre de l'Environnement l'a confirmé: le Canada se retire officiellement du protocole de Kyoto. Il dit vouloir s'éviter une «amende» environnementale de 14 milliards de dollars. Les partis d'opposition crient au mensonge et ragent devant le bonheur des conservateurs.

«Nous invoquons notre droit légal de nous retirer officiellement de Kyoto», a déclaré Peter Kent au cours d'un point de presse organisé à 17 heures dans le foyer de la Chambre des communes. «Cette décision formalise ce que nous disons depuis 2006, à savoir que nous n'appliquerions pas le protocole de Kyoto.» Le ministre a dit que le protocole était un «obstacle» à toute solution aux changements climatiques.

Une fois de plus, l'argumentaire d'Ottawa est essentiellement économique. Peter Kent fait valoir que rester dans le giron du protocole coûterait 14 milliards de dollars au Canada ou 1600 $ pour chaque famille.

«Pour respecter les cibles de Kyoto d'ici 2012, ce serait l'équivalent de retirer toutes les voitures, tous les camions, les véhicules tout terrain, les tracteurs, les ambulances, les voitures de police et autres véhicules des routes. Ou alors de fermer toute l'industrie agricole et fermer le chauffage de toutes les maisons, les bureaux, les hôpitaux, les usines et édifices du Canada. [...] C'est le prix de Kyoto pour le Canada, et c'est l'héritage d'un gouvernement libéral incompétent.»

En vertu du protocole de Kyoto, le Canada s'est engagé à ramener ses émissions de gaz à effet de serre 6 % sous leur niveau de 1990, et ce, pour chacune des cinq années de 2008 à 2012. En chiffres absolus, cela signifiait que le Canada avait le droit d'émettre pendant ces cinq années 2773 millions de tonnes (Mt) de GES. Pour les deux premières années pour lesquelles les données existent, le Canada a émis 1422 Mt, soit 51 % des émissions permises pour toute la période, et ce, malgré le ralentissement économique qui a sévi. Certaines prédictions estiment que le Canada dépassera de 719 Mt les émissions permises, comme le calculait Le Devoir dans son édition du 3 décembre.

Le Canada aurait donc dû, pour se conformer, acheter des crédits d'émission sur le marché international de 719 Mt ainsi que de 216 Mt supplémentaires représentant la pénalité de 30 %. Avec un marché du carbone oscillant entre 11 et 20 $ la tonne, cela impliquerait une pénalité financière pour le Canada de 10,3 à 18,7 milliards de dollars, d'où le chiffre de 14 milliards avancé par le ministre. Pas du tout, réplique l'opposition, qui fait valoir qu'aucun pays n'aurait eu à payer. En s'engageant à une phase subséquente du protocole, le Canada aurait pu reporter ces émissions plus tard sans avoir à payer. «C'est un grand mensonge», va même jusqu'à lancer la chef du Parti vert et militante écologiste de longue date, Elizabeth May.

«J'ai beaucoup de difficulté de parler de ceci comme si ce n'était seulement qu'une autre décision politique», a dit Mme May. La voix cassée, elle a ajouté: «C'est tragique. Quand je pense à quel point dure a été la lutte pour faire ratifier Kyoto, ce que cela signifiait. Quand je pense ce que cela a pris à la Chambre des communes pour ignorer les objections de l'Alberta, ignorer les objections de George W. Bush. Que le Canada ratifie Kyoto, c'était énorme.» Après son point de presse, Mme May avait les larmes aux yeux.

L'émotion était vive partout. La critique néodémocrate en matière d'environnement, Megan Leslie, avait l'air abattue. «J'ai l'impression que les conservateurs ont fait cette annonce avec jubilation, en se frottant les mains, a-t-elle dit. C'est quelque chose qu'ils voulaient faire depuis des années, mais ils ne pouvaient pas le faire en contexte de gouvernement minoritaire. Maintenant qu'ils ont une majorité, ils peuvent le faire, mais ils n'ont pas fait campagne là-dessus [...]. Cela ne faisait pas partie du contrat quand les électeurs sont allés aux urnes.»

Finis, les rapports?

Selon Mme Leslie, le retrait du protocole de Kyoto aura une conséquence majeure qui passe pour l'instant inaperçue: le Canada n'aura plus à faire rapport de ses émissions annuelles de gaz à effet de serre à la communauté internationale, une obligation du protocole. C'est par ces données, par exemple, que l'on peut voir à quel point l'exploitation des sables bitumineux dans l'ouest du pays contribue au mauvais bilan environnemental du pays. «C'est ça qui est en jeu ici. C'est de cacher nos échecs», estime Mme Leslie.

Le gouvernement canadien continuera-t-il quand même de colliger ces informations? Mystère. Elizabeth May en doute. «Le gouvernement du Canada a de manière systématique coupé dans la science, le monitoring, l'observation.»

Pas la faute des libéraux

La critique libérale en matière d'environnement, Kirsty Duncan, a déploré «l'abdication absolue» du gouvernement conservateur. «Pourquoi alors aller à Durban, pourquoi toute cette charade? Ils sont allés à Durban pour faire de l'obstruction.» Mme Duncan a fait partie du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) qui a remporté le prix Nobel de la paix en 2007.

Le ministre Peter Kent a plusieurs fois soutenu pendant son point de presse que toute cette situation était la faute des gouvernements libéraux qui ont ratifié un protocole du Kyoto problématique. Pourtant, le protocole, bien que conçu en décembre 1997, n'est entré en vigueur qu'en 2005. Le Canada l'a ratifié en décembre 2002. Les libéraux ont été défaits en novembre 2005. Le gouvernement conservateur est au pouvoir depuis maintenant six ans.

Elizabeth May a reconnu que les libéraux avaient déposé un plan en 2005 pour respecter les engagements de Kyoto qui aurait permis d'atteindre 80 % des objectifs. «Pour moi, en tant que militante environnementale, c'était une tragédie lorsque les conservateurs ont mis la hache dans ce plan. Je ne peux pas défendre le bilan libéral avant 2005, et je ne le ferai pas. Mais ils ont mis un plan en place. Et M. Harper l'a tué.»